INTERVIEW DOMAINE CHAMPAGNE ÉTIENNE OUDART

Rencontre avec Jacques Oudart, vigneron au domaine Champagne Oudart
Le domaine...
19e siècle : Albertine et Damas Oudart s'installent à Brugny et acquièrent une ferme de 26 hectares dont 1,20 ha de vignes
1958 : Étienne et Julianna développent le champagne
1988 : Jacques rejoint la maison
9 hectares
90 000 bouteilles/an
Aucun insecticide
Aucun herbicide
2018 : Certification "viticulture durable en champagne" et "haute valeur environnementale"
Échangeons...
La transmission a-t-elle toujours été une évidence pour vous ? Quel a été le moment clé pour vous décider à prendre la suite ?
La transmission a toujours été quelque chose d’essentiel pour moi : pouvoir échanger, expliquer notre façon de faire, notre travail, expliquer les terroirs, les différences entre les cépages, les années. Ce partage est essentiel, il permet aux gens de mieux comprendre ce qu’il y a derrière une bouteille de vin. On a un patron : Dame Nature... Parfois elle est rude, comme en 2024. Elle nous a beaucoup beaucoup embêtés, mais c’est comme ça, il faut faire avec. Tout ce qu’on fait, c’est pour qu’au final, on élabore le meilleur vin possible. Il y a des années où on fait du vin qui est bon, d’autres du très bon et des années où on en fait du très très bon.
Le moment clé qui m’a décidé à prendre la suite ?
Je n’ai pas eu trop de choix, j’étais le seul garçon de la famille donc pour mes parents, c’était inenvisageable que je fasse un autre métier. J’ai suivi « bien sagement ». À l’époque, les enfants étaient bien plus à l’écoute des parents (rires). Au départ, c’était un petit peu sous la contrainte, j’avais envie de faire autre chose. J’ai fait des études sur la vigne et sur le vin, plus passionné par la production de raisins que de vins. Au fil de ma formation, j’ai vraiment pris conscience que c’était un métier magnifique, on en apprend tous les jours. J’ai démarré cette profession de vigneron à la sortie de mes études, en 1984. Pour rien au monde je ne changerais de métier tant que Dieu me prêtera vigne pour le faire. Ce métier prend tout son sens quand on a la chance de pouvoir produire des raisins, de les transformer jusqu’à des cuvées identitaires : des bouteilles avec leur propre âme. Ce métier, je l’ai découvert et ma passion a galopé au fil des années.
En quoi la vision du vignoble est-t-elle différente aujourd’hui des années précédentes ? Quelle a été son évolution ?
Je pense qu’il y a deux familles qui constituent le champagne. D'un côté, il y a la famille des vignerons, environ 15 000 vignerons pour un peu moins de 34 000 hectares. Sur ce 15 000, on a 10 000 producteurs de raisins qui les commercialisent auprès des grandes marques, que ce soit des coopératives, des unions de coopératives ou des négociants. Ensuite, on a 5 000 vignerons qui transforment tout ou partiellement leur production. La deuxième famille, ce sont entre 400 et 450 grandes marques, je ne parle pas de marques acheteurs, je parle de marques connues de négoce. Ces deux familles font des vins de Champagne avec des objectifs différents. Si on parle un petit peu des grandes marques, leur objectif est de faire une cuvée qui soit à l’identique d’une année à l’autre. Garder "le goût maison" pour que les gens s’y retrouvent, restent sensiblement sur la même ligne. Avec quelques cuvées de niches, des très grandes cuvées comme Don Pérignon, Crystal, la cuvée Veuve Clicquot. Dans le même objectif, avoir d’une année à l’autre une continuité. Ce qui a changé dans la famille de vignerons, c’est qu’il y a 30 ans en arrière, on produisait du Champagne mais on était avant tout des producteurs de raisins. On n’avait pas la connaissance du vin comme aujourd’hui. Désormais, pour moi, les vignerons ont complètement changé : ils se sont entourés de connaissances et de compétences (œnologue, sommeliers…). Grâce à ce travail, ils ont réussi avec passion à mettre en avant leur terroir. Et ça, c’est vraiment quelque chose qui a évolué dans le temps. Je pense qu’on n'a rien à envier aux grandes maisons aujourd’hui sur nos compétences. On a nos différences, on retrouvera peut-être plus chez nous ces notions de terroirs de vieillissements, de vinifications différentes. Les gens peuvent retrouver dans un champagne de vignerons une réelle et forte identité sur différents terroirs.
On entend souvent dire que le champagne se boit en apéritif ou au dessert. Mais, la rumeur dit que les Champenois en consomment tout au long du repas, pouvez-vous nous en dire plus ?
Il y a 30 ans, on buvait le champagne plus au dessert qu’à l’apéritif. Les vins ont changé : le champagne est devenu un vin de gastronomie. J’aime recevoir des clients sommeliers et explorer les accords mets et vins. C’est encore un autre métier. En tant que producteur, on ne peut pas tout faire et tout maîtriser. Mais par contre, s’entourer de personnes capables de nous assister et de nous dire "Oh cette cuvée-là elle est merveilleuse avec tel plat", ça c’est des moments magiques et uniques qu’on peut partager. Oui effectivement, aujourd’hui le champagne se consomme de l’apéritif jusqu’au repas, et même sur les desserts. On retrouve aujourd’hui des desserts avec moins de sucre, et on peut y associer des cuvées brut, des cuvées avec un certain âge et un certain vieillissement. Nous travaillons avec Geoffrey Orban, qui fait partie de l’association Sommelier International. Au départ, il voulait être géologue, il s’attache donc à la compréhension du terroir et pour lui le vin ne transpire que ce que le raisin a mangé au travers de la saison viticole. On va faire la dégustation des différentes couches de terre avec de l’eau pour comprendre. Ensuite, il va nous le faire retrouver au travers le vin qu'on fait dans cette parcelle, et ça c’est vraiment très très intéressant. Si l’on m’avait dit tu feras des fosses géologiques à 3 mètres de profondeur il y a 30 ans, je vous aurais dit ce n’est pas possible, pour quoi faire ? Alors qu’aujourd’hui, on comprend ainsi comment le terroir s’exprime, en fonction des saisons, et on retrouve cela dans le vin.
Il propose des associations mets et vins, le bon mariage entre un plat et la cuvée. Quand ce mariage est bien fait, c’est juste impressionnant. Pour moi, ce qui est vraiment essentiel, c’est de s’entourer de gens plutôt passionnés et performants comme lui, qui nous apprennent à connaître notre terroir bien plus que ce que l’on peut nous l’imaginer.
Quels sont tes projets pour le domaine ?
Étant donné mon âge qui avance, je vais laisser les projets à la génération qui arrive. Mon principal but est donc de faciliter la transmission. On a la chance aujourd’hui d’avoir notre garçon qui, après avoir pris une autre voie professionnelle, décide de revenir travailler avec nous. L’idée, c’est vraiment de lui transmettre tout ce côté passionnant. On souhaite qu’il puisse continuer à créer de nouvelles cuvées, ce qu’il a déjà commencé à faire avec une cuvée sans sulfites : cela a été une belle découverte. Aujourd’hui, le principal projet pour moi et le domaine, c’est vraiment de transmettre, de donner envie à la génération qui arrive de continuer, de développer tout ce qu’on a commencé. Sans dévoiler de secrets, aujourd’hui il y a cette cuvée sans sulfite qui va sortir fin d’année. Ensuite, on a commencé à faire une cuvée identitaire monocépage sur un cépage qu'aujourd’hui on ne trouve pratiquement plus qu’en Champagne et qui apporte ce côté rondeur: il s’appelle Meunier. Cette cuvée sera disponible à partir de l’année prochaine. Les projets avancent...